Hommage au Père Jean DUJARDIN (1936-2018)

YVES CHEVALIER, directeur de la revue Sens

Le Père Jean Dujardin, un des artisans majeurs du dialogue judéo-chrétien, est décédé le 3 mars 2018. Nous reproduisons un hommage préparé par Yves Chevalier, directeur de la revue de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.

Né le 31 octobre 1936 à Cambernon (Manche), Jean Dujardin a d’abord fait des études d’histoire, puis, entré en 1955 chez les Oratoriens, de philosophie et de théologie. Cette triple formation lui donnera les outils nécessaires au rôle qu’il aura à jouer. Il est ordonné prêtre le 24 juin 1962. Il commence alors une carrière de professeur d’histoire à l’École Saint-Martin de Pontoise, alors dirigée par le Père Pierre Dabosville. Jean Dujardin se considérera comme son disciple. Il lui succédera à la direction de l’école en 1971. De 1984 à 1999, il est élu Supérieur général de l’Oratoire de France ; parallèlement, de 1987 à 1999, succédant au Père Bernard Dupuy, il est nommé Secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le Judaïsme, alors présidé par Mgr Gaston Poulain.

Son intérêt pour le dialogue entre Juifs et Chrétiens est d’abord né de sa confrontation, en tant qu’historien, avec les théories négationnistes aberrantes de Robert Faurisson et de ses semblables, qui niaient la Shoah. Ce qui, selon les mots du Père Jean Massonnet, l’a amené à affronter le vertigineux « mystère d’iniquité » et à chercher le sens de ce « non-sens » ; en même temps qu’à se lancer dans une réflexion sur les racines juives du Christianisme.

 

En septembre 1986, il a participé, comme l’a rappelé le rabbin Daniel Farhi, au « Pèlerinage de Juifs et de Chrétiens à Auschwitz », pèlerinage interreligieux organisé dans le contexte de l’Affaire du Carmel. Dans le prolongement de cette expérience, et convaincu de la nécessité de former la jeunesse à cette réalité de la Shoah, il a lui-même organisé pendant de nombreuses années des voyages à Auschwitz pour les lycéens dans le cadre de l’association « Train de la Mémoire », qu’il a co-fondé avec les sœurs de Notre-Dame de Sion. Malgré sa santé chancelante, il avait tenu, le 20 janvier dernier, à être présent au Collège des Bernardins pour le 20ème anniversaire de la création de cette association.

Il a surtout participé, aux côtés des Cardinaux Albert Decourtray et Jean-Marie Lustiger, et avec Maître Théo Klein et le Grand Rabbin René Samuel Sirat, aux négociations de Genève pour résoudre la question du Carmel qui avait été installé dans l’ancien Théâtre d’Auschwitz, là où les nazis entreposaient les bonbonnes de Zyklon B. Son rôle dans la mise en place des conditions du transfert du Carmel, maintenant situé en dehors du périmètre du camp d’Auschwitz-Birkenau, reste à écrire.

Parmi les autres réalisations qui sont à inscrire à son crédit, citons sa participation au collectif d’historiens institué par le Cardinal Decourtray et chargé d’étudier l’attitude de l’Église dans l’Affaire Touvier. C’est sous la direction de René Rémond que le rapport de cette commission, Paul Touvier et l’Église, a été publié chez Fayard en 1992 ; citons aussi son intervention, en 1992, pour arrêter le processus de béatification d’Isabelle la Catholique, actrice de l’Inquisition et de l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492.

Rappelons aussi qu’il fut, avec l’historien François Bédarida, l’un des rédacteurs de la « Déclaration de repentance des évêques de France », lue le 30 septembre 1997 par Mgr Olivier de Berranger à Drancy devant la communauté juive émue de ce geste sans précédent. Par ce document, l’Église de France reconnaissait publiquement ses « manquements » devant la tentative nazie d’extermination du peuple juif, et demandait pardon « à Dieu » pour cette faute.

Sur un autre registre, cette même année 1997, avec Mgr Poulain, Président du comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme, le Père Dujardin publiait aux éditions du Cerf, en tant que secrétaire du comité, un document dont on n’a pas assez mesuré l’importance pour les relations entre Juifs et Chrétiens : Lire l’Ancien Testament. Contribution à une lecture catholique de l’Ancien Testament pour permettre le dialogue entre Juifs et Chrétiens.

En pédagogue averti, le Père Dujardin avait le souci de la transmission d’une connaissance exacte du passé et d’une interprétation non biaisée des textes. Il a publié, seul ou en collaboration, plusieurs livres dont on retiendra surtout L’Église catholique et le peuple juif. Un autre regard (éd. Calmann-Lévy, 2003) et de très nombreux articles (Sens en a publié 70). Il a multiplié des interventions dans les séminaires et des conférences à travers la France — en particulier au SIDIC, aux Bernardins ou dans les groupes d’AJCF — devant un public plus large pour former les Chrétiens au dialogue, et dans les synagogues pour expliquer le Christianisme aux Juifs.

Sa disparition, le 3 mars 2018, à l’âge de 81 ans, nous prive d’un spécialiste reconnu, y compris du Vatican où il était consulteur. Toujours disponible, il était, à l’Amitié Judéo-Chrétienne, Vice-Président d’Honneur après avoir été, de longues années, membre du Comité Directeur. Il avait reçu le Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France en 1996.


Note de l’éditeur
Source : Amitié Judéo-Chrétienne de France