Décès de Jean-Marie Lustiger, le «cardinal juif»

Le cardinal Jean-Marie Lustiger est décédé à Paris, le dimanche 5 août 2007. Ses obsèques ont été célébrées le vendredi 10 août à la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Décès de Jean-Marie Lustiger, le « cardinal juif »

Jean Duhaime

Le cardinal Jean-Marie Lustiger est décédé à Paris, le dimanche 5 août 2007. Ses obsèques ont été célébrées le vendredi 10 août à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Juif converti au christianisme, le cardinal Lustiger a été un artisan inlassable du dialogue entre juifs et chrétiens.

Aaron Lustiger est né à Paris le 17 septembre 1926 de parents juifs polonais. Il se réfugie à Orléans au début de la guerre. À 14 ans, le 25 août 1940, il est baptisé dans l’Église catholique et reçoit le prénom de Jean-Marie. Sa mère meurt à Auschwitz en 1943. Entré au séminaire des Carmes de Paris en 1944, il est ordonné prêtre le 17 avril 1954, dans la nuit de Pâques. Il œuvre comme aumônier des étudiants de Paris, puis comme curé de la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal (1969), évêque d’Orléans (1979), puis archevêque de Paris (1981), poste qu’il occupe jusqu’en 2005. Jean-Paul II le crée cardinal le 2 février 1983. La même année (23 juin), il se rend pour la première fois à Auschwitz et se recueille sur le « tombeau » de sa mère. En 1995, il succède au cardinal Decourtray comme membre de l’Académie française. Il devient archevêque émérite de Paris en 2005, au moment de sa retraite.

Dans le message qu’il a livré lors des funérailles du cardinal Lustiger, Mgr André Vingt-Trois, son successeur à l’archevêché de Paris, a souligné qu’il perdait « à la fois un père, un frère et un ami ». Il a rappelé comment cet archevêque exceptionnel a marqué profondément la vie du diocèse de Paris, notamment « les institutions et les initiatives de son ministère épiscopal : École cathédrale, Radio Notre-Dame, Séminaire de Paris, KTO, Paris-Toussaint 2004, Collège des bernardins, etc. ». Il a également mis en valeur la contribution du cardinal Lustiger à la société française : « Fils d’immigrés, il avait à cœur de défendre les droits de l’homme dans une société démocratique à laquelle il était profondément attaché. »

Mgr Vingt-Trois a rappelé que le cardinal Lustiger fut « un conseiller fidèle et discret » de plusieurs papes et que « sa réflexion comme son histoire personnelle l’on conduit à jouer un rôle important dans l’évolution des relations entre juifs et chrétiens ». Encouragé et soutenu par le pape Jean-Paul II, poursuivait Mgr Vingt-Trois dans l’homélie, « il a posé pour le développement des relations entre les juifs et les chrétiens des actes décisifs que peut-être lui seul pouvait engager. Son histoire personnelle le conduisait à se reconnaître comme un témoin privilégié de la vocation universelle de l’Alliance conclue au Sinaï entre Dieu et son Peuple. Quelles que soient les incompréhensions bien explicables ou les souffrances secrètes dont il était blessé, jamais il ne renonçait à ce qu’il comprenait comme sa mission propre. »

Le président de la Conférence des évêques de France, le cardinal Jean-Pierre Ricard a rappelé comment le cardinal Lustiger a inlassablement invité les catholiques « à mieux redécouvrir leurs racines spirituelles dans la première Alliance, il a poursuivi jusqu’au bout le dialogue avec le judaïsme, aidant à la relecture historique, favorisant les liens, invitant à dépasser les préjugés ». Le pape Benoît XVI a rendu hommage à un  homme de foi et de dialogue » qui s’est dépensé généreusement « afin de promouvoir des relations toujours plus fraternelles entre chrétiens et juifs ».

M. Maram Stern, Secrétaire-Général Adjoint du Congrès Juif Mondial (CJM), a déploré le décès de ce pionnier du dialogue judéo-chrétien. « Le Cardinal Lustiger est né juif. Sa mère a été assassinée à Auschwitz. Il a toujours été conscient des dangers que représentaient pour les Juifs, l’antisémitisme, la persécution et la haine et il les a combattus avec toute son énergie. C’est avant tout de cela que le monde juif retiendra »

Le Cardinal Lustiger a régulièrement pris la parole lors de réunions du Congrès Juif Mondial. En janvier 2005, il a été le premier cardinal à s’adresser à l’Assemblée Générale du CJM. A l’occasion de l’une de ses prises de parole, il a déclaré : « Se rencontrer et apprendre à mieux se connaître ne sera pas suffisant pour effacer toutes les divergences. Cependant,..un tel dialogue devrait mettre – ou plutôt mettra - en lumière les convergences que la globalisation culturelle permet de nos jours. La compréhension mutuelle permettra une nouvelle prise de conscience de perspectives communes au sujet d’aspects cruciaux de la vie en société. Le dialogue permet d’initier les relations mais il force également chaque partenaire à se remettre en question face à l’autre, et par conséquent à changer et même à se renouveler au cours de cet échange. »

M. Stern a ajouté: « La stature intellectuelle du Cardinal Lustiger, sa vision ainsi que sa personnalité chaleureuse manqueront grandement à tous. Le monde chrétien a perdu une de ses personnalités les plus remarquables, la France a perdu une très grande figure morale et spirituelle et le monde juif un de ses meilleurs amis. »

Madeleine Cohen, vice-présidente de l’Amitié Judéo-chrétienne de France (AJCF) a adressé une lettre personnelle à Mgr Vingt-Trois dans laquelle elle lui fait part, en sa qualité de femme juive des « sentiments de profond respect, d’admiration, d’amitié et de reconnaissance » qu’elle a toujours ressentis pour le cardinal Lustiger : « Imprégné d’une foi inébranlable en l’Eternel,  ‘Dieu de l’univers et de tous ceux qui l’habitent ‘, il n’a pas remplacé la religion de ses parents par le christianisme, non, il a ouvert son cœur à la religion sœur sans jamais renier son judaïsme qu’il a toujours revendiqué et défendu avec passion. »

« Cette position difficile à admettre pour beaucoup, », poursuit-elle, « lui a valu des critiques tant de juifs que de chrétiens. Mais comme ‘ le serviteur souffrant’», convaincu de son choix, ‘ le choix de Dieu’» avait-il écrit, il a accepté sans un cri,  les coups à lui portés. Et c’est avec une grande humilité qu’il a reçu les honneurs, la gloire, le respect, la reconnaissance enfin  de son action par tous : animé par l’amour de ses frères Juifs et Chrétiens dont il désirait ardemment la réconciliation, nourri par la sève de « la racine qui le porte »  il a poursuivi sans relâche la justice. Il fut l’un des artisans de la déclaration de repentance de Drancy, et a été très ferme contre ses détracteurs, leur rappelant : les dispositions du Traité Yoma : ‘ Les fautes de l’homme envers Dieu sont pardonnés par le Jour du Pardon ; les fautes de l’homme envers autrui ne lui sont pas pardonnées par le Jour du Pardon, à moins que, au préalable, il n’ait apaisé autrui….’ , dispositions reprises par Mt V,23 : ‘Si donc tu vas présenter ton offrande sur l’autel et que tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande.’

Mme Cohen a également rappelé d’autres gestes importants du cardinal Lustiger en ce sens : «  Il s’est impliqué de toutes ses forces dans la solution de l’’Affaire du Carmel d’Auschwitz’. Bénéficiant de l’estime et de la confiance  de Jean-Paul II ‘de mémoire bénie’, il a appuyé son désir de demande de pardon, a participé à la préparation de son  voyage à Jérusalem et l’y a accompagné. Voulant partager avec ses frères catholiques la richesse de la Tradition juive, il a organisé des rencontres avec les Juifs orthodoxes aux États-Unis. »

Faisant part de son expérience personnelle, elle note que le cardinal fut un « fervent défenseur de l’Amitié Judéo-chrétienne de France », et qu’elle a souvent pu, à titre de Secrétaire Général, puis de Vice-présidente de l’AJCF « bénéficier de son aide précieuse pour la solution de bien des problèmes ».

Elle conclut : « Son décès étant survenu un dimanche, m’est aussitôt venu à l’esprit le psaume 24 que les lévites disaient sur l’estrade le dimanche : ‘A l’Eternel appartient la terre et ce qu’elle renferme,  Le globe et ceux qui l’habitent…. Qui s’élèvera sur la montagne de l’Eternel ? Qui se tiendra dans Sa sainte résidence ? Celui qui a les mains immaculées et le cœur pur ….Celui-là obtiendra la bénédiction de l’Eternel La bénédiction du Dieu de son salut’. Que l’Eternel dans Sa grande bonté accueille avec miséricorde cet homme au cœur pur et aux mains immaculées et qu’Il abrite l’âme bénie de ce  Juste « sous les ailes de la Chéhina ».

On trouvera sur le site jcrelations.net une notice biographique (www.jcrelations.net/fr/?item=2500) ainsi que quelques textes du cardinal Lustiger : une conférence sur « Le caractère historique de la "révélation biblique" », prononcée à New York le 28 février 2005 (www.jcrelations.net/fr/?item=2487) et l’allocution du 29 mars 2006 au United States Holocaust Memorial Museum, Washington, D.C. (www.jcrelations.net/fr/?item=2667).

Des dossiers sur le cardinal Lustiger sont disponibles sur le site de l’Église catholique de France (www.cef.fr/catho/actus/dossiers/2007/lustiger/index.php), celui du diocèse de Paris (http://catholique-paris.cef.fr/diocese/lustiger/index.php) et celui du journal La Croix (www.la-croix.com/dossiers2/sommaire.jsp?docId=2300714).