Excellences Révérendissimes,
Chers amis,
Chers frères et sœurs,
que le Seigneur vous donne la paix!
Il m'a été demandé de décrire brièvement la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Il n'est pas facile de décrire brièvement ce que nous vivons sans être superficiel et incomplet. Je ne présenterai donc pas la chronique des événements. Je pense que vous les connaissez déjà grâce aux médias, qui diffusent chaque jour des images et des récits de violence et de douleur. Je ne présenterai pas non plus une vision politique de la situation, ce qui ne ferait probablement qu'engendrer des malentendus. Je me contenterai d'expliquer brièvement comment, en tant que chrétiens, l'Église vit ce moment et ce qu'elle fait.
Du 7 octobre [2023] à aujourd'hui, nous avons été pris dans la tourmente des événements et avons connu la mort, la destruction, la violence, le ressentiment et le désir de vengeance. Alors que nous essayons, avec l'aide de Dieu, d'être un pont, de servir de médiateur et de tenir par un fil le dernier espoir de négociations, la situation politique sur le terrain semble s'aggraver de plus en plus. Les deux populations, israélienne et palestinienne, sont de plus en plus fragmentées, le leadership politique est contesté dans les deux camps et la méfiance entre eux s'accroît. Pour faire court: malheureusement, il ne semble pas y avoir de perspectives de paix à court terme. Après Gaza, l'escalade du conflit à la frontière nord du Liban devient de plus en plus évidente. C'est l'actualité de ces jours que nous connaissons tous.
Notre peuple est en proie à la peur, à l'incertitude quant à l'avenir. Beaucoup n'ont que des ruines devant eux. En outre, la grave crise actuelle n'a pas seulement détruit en peu de temps les perspectives de paix et de confiance, mais elle a aussi annulé des années de dialogue interreligieux, de construction laborieuse de relations entre les différentes communautés religieuses et sociales. La crise politique a également touché les communautés religieuses, dont les dirigeants n'ont pas pu se rencontrer ou se parler depuis 11 mois. Chacun est désormais enfermé dans son contexte de vie, au sein de sa communauté respective, enfermé dans sa douleur, souvent en colère, déçu et sans confiance. Un rabbin des années 1960, [Abraham Joshua] Heschel, disait qu' «aucune religion n'est une île». En ce moment, j'ai l'impression que nous sommes redevenus un peu une île, que nous ne nous occupons que de nous-mêmes.
Il est donc clair pour tous qu'un nouveau départ doit être pris pour reconstruire le tissu social détruit par la guerre, avec patience et en sachant que les délais de guérison de ces blessures seront nécessairement longs, qu'ils nécessiteront des chemins complexes, mais qu'ils seront néanmoins bel et bien nécessaires. Il faut reconnaître que les mots justice, vérité, réconciliation et pardon ne peuvent pas être de simples souhaits, comme ils l'ont peut-être été jusqu'à présent, mais doivent trouver des contextes réels vécus avec une interprétation commune et redevenir des expressions crédibles et souhaitées, sans lesquelles il sera difficile de penser à un avenir différent. Nous devrons croire que, malgré tout, il est possible d'avoir un avenir différent de celui que la guerre et la violence nous prédisent actuellement. Il faut dire qu'il y a un débat en cours et des interprétations différentes des événements. Pour certains, la nouveauté réside uniquement dans l'intensité des événements depuis le 7 octobre, mais pas dans leur dynamique, qui est au contraire la même depuis 1948. Pour d'autres, en revanche, le 7 octobre est une nouveauté absolue. Cela montre à quel point les différences entre les partis sont grandes. En tout cas, depuis le 7 octobre, les médias et nos téléphones portables sont plein d'images de sang, de destruction et de mort, mais aussi de haine, de vengeance et de ressentiment, où chacun se sent victime, seule victime de tout ce tsunami de haine qui a déferlé sur nous.
C'est peut-être l'une des difficultés de notre époque, du moins en Terre sainte. Notre propre cœur est tellement rempli, inondé, déchiré par la douleur qu'il n'y a pas de place pour la douleur des autres. Chacun se considère comme la victime, la seule victime de cette guerre odieuse. Nous voulons et exigeons de l'empathie pour notre propre situation et nous nous sentons souvent trahis, ou du moins déçus, lorsque nous entendons les autres exprimer des sentiments de compréhension à l'égard de ceux qui sont différents de nous. Une situation qui est blessante à tous points de vue. Peut-être serait-il préférable de garder le silence face à tout cela. Mais même si le silence reste approprié, on me demande aujourd’hui de me prononcer et je ne peux m'empêcher de le faire.
1. Une question de langage
On a beaucoup parlé ces derniers mois de l'inhumanité de cette guerre (comme d'ailleurs de toutes les guerres), inhumanité dans les actes perpétrés, ce que les images ont clairement montré. En effet, il y a eu et il y a des images qui laissent pantois par leur cruauté et la douleur qu'elles provoquent. Et derrière ces images, qui en disent plus que des millions de mots, il y a des situations réelles, concrètes, tangibles. Il ne s'agit donc pas de reconstitutions ou de trucages. Ce qui s'est passé le 7 octobre dans le sud d'Israël et ce qui se passe aujourd'hui dans la bande de Gaza est une blessure profonde au sens de l'humanité, au respect de la personne. J'ai rencontré des personnes, israéliennes et palestiniennes, touchées par ces situations, profondément blessées, humiliées, mais aussi ayant besoin de paroles de proximité, de compassion et de compréhension.
Lors de ces rencontres, j'ai senti qu'il ne suffisait pas de leur assurer que tout était mis en œuvre pour les aider et les soutenir d'un point de vue humanitaire, ce qui a d'ailleurs été fait. Je pense à nos chrétiens qui sont piégés dans nos églises à Gaza et qui sont également si blessés et affectés. Il ne suffisait pas de leur apporter l'aide humanitaire nécessaire. Ils avaient besoin d'un mot qui exprime la proximité. J'ai réalisé combien il est nécessaire non seulement de veiller à ce que nos bureaux diocésains fassent leur part, mais aussi d'être là avec une parole d'encouragement, mais plus encore d'orientation et de direction dans un contexte qui semble être caractérisé par le désespoir le plus total. Aux images et aux mots de douleur et de haine, il faut répondre par des images et des mots d'espoir et de lumière.
En bref, il faut avoir le courage de parler. Il faut non seulement dire ce que l'on pense, mais aussi réfléchir à ce que l'on dit et être conscient que les mots ont un poids décisif, surtout dans des situations aussi délicates. En particulier, ceux qui assument des responsabilités publiques ont le devoir de diriger leurs communautés respectives avec un langage approprié, capable d'exprimer les sentiments et les perceptions communes d'une part, mais aussi de guider la pensée et, si nécessaire, de limiter la dérive de la haine et de la méfiance qui sévit souvent dans les médias avec facilité, avec des mots qui sont comme des flèches qui frappent au cœur. Il ne faut pas courir après la marée, mais savoir l'orienter, tout en assumant les incompréhensions et la solitude. Bref, il faut garder le sens de l'humain, d'abord dans le langage, en privé et en public, dans l'utilisation des médias sociaux, qui ont un effet perturbateur sur l'opinion publique et qui, en même temps, ne permettent pas d'approfondir et de mettre en perspective des situations aussi complexes que celle que nous vivons aujourd'hui. Le langage crée l'opinion, la pensée, peut susciter l'espoir, mais aussi la haine. L'humanité, c'est-à-dire la nécessité de rester humain, de garder le sens du respect de la dignité des êtres humains, de leur droit à la vie et à la justice, commence par le langage. Le langage violent, agressif, chargé de haine et de mépris, de rejet et d'exclusion, en somme, n'est pas une question secondaire dans cette guerre, mais l'un des principaux outils de cette guerre et de trop d'autres. Utiliser des termes qui nient l'humanité de l'autre, d'où qu'il vienne, est aussi une forme de violence qui peut ouvrir ou peut-être même justifier le choix de la violence dans bien d'autres contextes et sous d'autres formes. Ce sont des expressions qui font peut-être encore plus mal que les massacres et les bombes.
Dieu a créé le monde par la parole («Qu’il y ait...»). Nous aussi, nous créons notre monde avec nos mots. Nous l'avons constaté de manière très sensible et très dure au cours de ces mois. Mais si nous y regardons de plus près, nous l'avons peut-être réalisé plus tôt. Combien de fois, au fil des ans, avons-nous dû faire attention à ne pas utiliser, dans un contexte donné, certains mots qui étaient courants dans un autre contexte, et vice versa. Chaque camp, israélien et palestinien, avait son propre vocabulaire, son propre récit, différent et indépendant l'un de l'autre, qui ne se rencontraient jamais, sauf dans des cercles restreints. Du côté israélien, par exemple, le vocabulaire tournait autour du concept de sécurité. De l'autre côté, il était question d'occupation et de justice. Pour être clair, ces mots sont sacro-saints, reflètent une réalité et une nécessité authentiques et méritent le respect. Le problème est qu'il s'agit de récits indépendants les uns des autres, qui ne se sont jamais vraiment rencontrés. C'est ce qui est apparu de manière explosive au cours des derniers mois.
Ce qu'il nous faut, c'est le courage d'utiliser un langage non exclusif. Un langage qui, même dans les conflits et les contradictions les plus durs, préserve un sens ferme et clair de l'humanité, car nous restons tous des êtres humains créés à l'image de Dieu, même si nous la déformons par notre mauvais comportement. Il est donc nécessaire, en public comme en privé, dans les médias, dans les synagogues, les églises et les mosquées, d'avoir le courage d'utiliser des mots qui ouvrent des horizons et n'excusent pas la violence et le rejet. Il en va de même pour les médias, les médias sociaux, qui prennent de plus en plus d'importance, et les institutions éducatives telles que les universités. N'est-ce pas là, en fin de compte, la plus grande contribution de l'Église dans notre situation, à savoir fournir un langage qui peut créer un monde nouveau qui n’est pas encore visible, mais qui pointe à l’horizon?
2. Un conflit qui est aussi spirituel
Cette guerre affecte clairement la vie spirituelle des habitants de la Terre Sainte. Ce qui se passe ne peut laisser indifférents ceux qui se préoccupent de la vie spirituelle. En Terre Sainte, la foi et la religion sont essentielles à la vie des différentes communautés, chrétiennes, musulmanes et juives. Quel rôle jouent les religions et la foi dans ce conflit qui a un impact dévastateur sur la vie de tous? Il semble que les paroles de l'Esprit n'aient aucune influence sur les décisions qui sont prises en ce moment. Cela soulève des questions. Dans Deutéronome 30,15, Dieu dit: «Voici que je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal... Choisis donc la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité». Nous devons prendre acte du fait qu'il est toujours possible de ne pas choisir la vie et le bien et que nous devons nous poser la question de savoir comment nous nous situons face à ces choix du mal et de la mort et y répondre. Il ne s'agit pas d'une question abstraite, mais d'une question qui préoccupe de nombreux croyants. Comment pouvons-nous, en tant que croyants, nous tenir face à ces choix de mort et de violence?
En effet, force est de constater qu'il y a une grande absence dans cette guerre: la parole des responsables religieux locaux. A quelques exceptions près, nous n'avons pas entendu ces derniers mois de discours, de réflexions ou de prières de la part des responsables religieux qui soient différents de ceux des autres responsables politiques ou sociaux. On a l'impression que chacun d'entre eux parle exclusivement du point de vue de sa propre communauté. Les juifs avec les juifs, les musulmans avec les musulmans, les chrétiens avec les chrétiens, etc. Il semble que chacun préserve et renforce le récit de sa propre communauté, souvent contre l'autre.
Ces derniers mois, par exemple, il a été et il est encore presque impossible d'organiser des réunions interreligieuses, du moins au niveau public. Les juifs, les chrétiens et les musulmans ne peuvent pas se rencontrer, ni même exprimer leurs désaccords. Les relations interreligieuses qui semblaient s'être solidifiées paraissent aujourd'hui balayées par un dangereux sentiment de méfiance. Chacun se sent trahi par l'autre, non compris, non défendu, non soutenu.
Ces derniers mois, je me suis demandé à plusieurs reprises si la foi en Dieu était réellement la source de la pensée personnelle et de la formation de la conscience, créant une compréhension commune entre nous, croyants, au moins sur certaines questions clés de la vie sociale, ou si notre pensée était façonnée par et basée sur quelque chose d'autre. En d'autres termes, je me demande si, dans mes actes et mes paroles, je crains davantage Dieu ou la réaction des gens, des politiciens, des médias... Lorsque je me tourne vers ma communauté, ai-je le courage de la parrhésie? Est-ce que j'ouvre des horizons? Ou bien est-ce que je pèse mes mots pour ne fâcher personne? Cette question n'est pas anodine. Je dirais même qu'elle est centrale. C'est précisément dans ces contextes de douleur et de désorientation, dans un contexte où la religion joue un rôle public si important, qu'il ne faut jamais cesser de se demander si et comment la foi peut orienter sa communauté, l'inviter à se remettre en question sans s'enfermer dans ses propres zones de confort. La foi doit être un soutien, mais aussi, d'une certaine manière, un élément perturbateur. Si la foi est fondée sur une expérience de transcendance, elle doit aussi conduire l'esprit à transcender le moment présent et à ouvrir les frontières de l'esprit et du cœur pour aller au-delà. En effet, les croyants peuvent canaliser leur colère et leur chagrin dans la prière. Ils doivent regarder vers le haut et réaliser que Dieu les appelle, ultimement, à regarder l'autre qui est fait à son image.
Cette guerre est aussi un tournant dans le dialogue interreligieux, qui ne peut plus être le même, du moins entre chrétiens, musulmans et juifs.
Le monde juif ne s'est pas senti soutenu par les chrétiens et l'a exprimé clairement. Les chrétiens, quant à eux, divisés comme toujours sur tout et incapables de trouver une parole commune, sont restés à l'écart, sinon divisés sur le soutien à l'un ou l'autre camp, du moins incertains et confus. Les musulmans se sentent agressés et se croient complices des massacres du 7 octobre... Bref, après des années de dialogue interreligieux, nous ne nous sommes pas compris. Pour moi personnellement, c'est une grande douleur, mais aussi une grande leçon.
Sur la base de cette expérience, nous devrons repartir à zéro, conscients que les religions jouent aussi un rôle central d'orientation, et que le dialogue entre nous doit peut-être faire un pas important et partir de notre incompréhension actuelle, de nos différences, de nos blessures. Il ne peut plus s'agir uniquement d'un dialogue entre membres de la culture occidentale, comme cela a été le cas jusqu'à présent, mais il doit prendre en compte les différentes sensibilités, les différentes approches culturelles, non seulement les approches européennes, mais surtout les approches locales. C'est beaucoup plus difficile, mais il faut partir de là. Et il faut le faire, non pas par nécessité ou par besoin, mais par amour. Car malgré nos différences, nous nous aimons et nous voulons que cette bonté s'exprime concrètement non seulement dans nos propres vies, mais aussi dans nos communautés respectives. S’aimer les uns les autres n’implique pas nécessairement qu’on ait les mêmes opinions, mais qu’on sache les exprimer et les apprécier tout en se respectant et en s’accueillant les uns les autres.
3. La réflexion et l’action de l’Église
Dans ce contexte complexe, notre Église réfléchit depuis un certain temps à la manière dont nous pouvons, en tant que fidèles chrétiens, vivre dans ce conflit; une réflexion constructive et en même temps vraie et réelle, qui ne tombe pas dans des slogans éculés ou des platitudes évidentes. Le conflit et ses conséquences affectent la vie de tous les habitants de notre diocèse et font donc partie intégrante de la vie de l'Église et de sa pastorale. Tout ce que nous sommes et faisons est directement et indirectement lié au conflit et à ses conséquences, depuis les aspects les plus pratiques jusqu'à la réflexion sur des questions plus complexes. Ce que j'essaie de dire, c'est que le conflit n'est pas une question passagère et secondaire dans la vie de notre Église, mais qu'il fait aujourd'hui partie intégrante et constitutive de notre identité en tant qu'Église: le conflit et la division, avec les conséquences de la haine et du ressentiment, sont une réalité quotidienne avec laquelle nous devons compter depuis plusieurs générations et qui exige de la communauté chrétienne un chemin continu de réflexion et d'élaboration spirituelle, pastorale et sociale. Pour nous, parler de paix n'est donc pas parler d'une question abstraite, mais d'une blessure profonde dans la vie de la communauté chrétienne, qui provoque souffrance et lassitude et qui affecte profondément toute notre vie humaine et spirituelle.
Je ne sais pas si nous sommes parvenus à une synthèse dans l'interprétation de ce thème, probablement pas encore. Je pense que la réflexion sur le témoignage de la paix sera toujours un travail continu pour nous, nous n'aurons jamais un discours complet et définitif, mais nous devons compter avec les développements continus des différents cadres politiques qui se forment et se dissolvent progressivement, et avec leur impact sur la vie des gens en Terre Sainte. Des situations qui remettent constamment notre foi en question. Et peut-être que l'heure n'est même pas à la synthèse, mais à l'écoute. Écouter les différentes voix, sentiments et visions et essayer de les lire à la lumière de l'Évangile. Le message chrétien est fondé sur l'Évangile et sur Jésus. Nous ne pouvons pas échapper à la personne de Jésus. Nos réflexions en tant qu'Église de Terre Sainte ne peuvent donc pas échapper à l'enseignement de Jésus, qui nous a appris que le pardon, la justice et la vérité sont la base de la paix.
Il incombe donc à l'Église de Terre Sainte de fonder sa pastorale ecclésiale sur cet enseignement et de faire en sorte que ces mots – pardon, justice, vérité, paix – fassent l'objet d'un dialogue constant, difficile, douloureux, complexe, éreintant et fatigant. Mais c'est un processus fécond, respectueux des droits de Dieu et des personnes, qui construit peu à peu une véritable perspective de paix dans les temps où elle fait défaut. Car ce qui soutient l'action de l'Église, ce n'est pas l'idéologie, c'est l'amour. «L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné» (Romains 5,5). C'est cet amour qui est l'âme de notre désir de paix. Rien d'autre.
Mais il ne suffit pas de parler, il faut aussi agir et être présent là où les gens souffrent et sont dans le besoin. Si nos paroles ne sont pas accompagnées d'actions concrètes pour aider les gens, nous risquons de ne leur adresser que des vœux pieux et rien d'autre. C'est pourquoi l'Église de Terre Sainte est présente dans ses diverses institutions, comme la Custodie de Terre Sainte, et œuvre concrètement pour aider les gens.
Notre communauté chrétienne est peu nombreuse, mais elle est répartie dans toute la Terre Sainte: dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et en Israël.
C'est à Gaza que la situation est la plus difficile. Il ne reste qu'un peu plus de six cents chrétiens dans le nord de la bande de Gaza, dans la ville de Gaza. Ils sont tous rassemblés dans les deux complexes ecclésiastiques, l'église catholique de la Sainte Famille et l'église orthodoxe Saint Porphyre. Toutes leurs maisons ont été détruites. À Gaza, plus de 80 % des maisons ont été détruites et toute l'infrastructure a également été détruite: pas d'eau, pas d'électricité et pas d'autres services. Dans le nord de la bande, où nous travaillons et où se trouve la communauté chrétienne, il n'y a qu'un petit hôpital qui fonctionne partiellement pour une population restante d'environ 600 000 personnes. La population dépend de l'aide extérieure dans tous les domaines, à commencer par la nourriture.
Nos chrétiens cuisinent pour tout le monde dans une cuisine commune plusieurs fois par semaine. Et ce qui est cuisiné doit être suffisant pour toute la semaine. La semaine dernière, ils ont pu manger de la viande, et c'était la première fois qu'ils en voyaient depuis Pâques. L'alimentation n'est pas complète. Les fruits et légumes sont très difficiles à trouver. Cela affecte particulièrement les groupes de population les plus vulnérables, comme les enfants.
Une autre urgence concerne les écoles. L’année scolaire 2023-2024 a été annulée. Et il en sera probablement de même cette année. Toutes les écoles ont été détruites ou sont utilisées comme abris d'urgence pour les familles déplacées. Avant la guerre, la communauté comptait quatre écoles en état de marche. Aujourd'hui, elles sont détruites. Nous essayons de rouvrir au moins l'une d'entre elles pour que nos enfants puissent à nouveau apprendre. C’est une situation dramatique pour de nombreuses familles.
Avec l'aide de diverses organisations, nous essayons de fournir à quelques milliers de familles de la nourriture et des soins médicaux. Toutes les deux semaines, nous essayons de distribuer 20 tonnes de nourriture et de biens de première nécessité dans un contexte de grandes difficultés dues au conflit militaire en cours. C'est ce que nous pouvons et devons faire. Dans les semaines à venir, nous ouvrirons également de petites cliniques pour fournir des soins médicaux. Ce n'est pas grand-chose, mais c'est ce que nous pouvons faire en ce moment. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à ce drame qui semble ne pas avoir de fin.
En Cisjordanie, en particulier dans la région de Bethléem, où vivent de nombreux chrétiens, la situation n'est pas aussi dramatique qu'à Gaza, mais elle est certainement très difficile sur le plan économique. Les pèlerinages et le tourisme religieux, l'une des sources de revenus les plus importantes pour la population, se sont complètement arrêtés, laissant des centaines de familles sans travail pendant 11 mois. Avant la guerre, plus de cent mille travailleurs palestiniens se rendaient chaque jour en Israël pour y travailler. À l'exception de quelques détenteurs de permis, ils sont aujourd'hui presque tous chez eux, sans perspectives claires de reprise. En effet, la profonde méfiance entre les populations palestinienne et israélienne ne permettra pas un retour facile à la situation antérieure.
Les affrontements entre colons israéliens et groupes palestiniens sont également de plus en plus fréquents dans le nord de la Cisjordanie. Vous avez probablement entendu parler des affrontements à Jénine et dans les villages environnants. Notre petite communauté à Jénine est également partiellement touchée. Bien sûr, tout le monde est à la maison et n'a pas de perspectives d'emploi à court terme. La crainte est que cette sorte de nouvelle intifada s'étende à toute la Cisjordanie. Ce serait dramatique.
Dans le nord de la Cisjordanie, les écoles n'ont pu commencer l'année scolaire que la semaine dernière, avec un retard d'un mois, en raison des affrontements et des violences en cours.
Mais je ne veux pas oublier ici les victimes israéliennes, les victimes du 7 octobre, un massacre terrible et inimaginable, et aussi combien d'entre elles sont mortes au cours des derniers mois, jusqu'à la semaine dernière, dont l'impact sur la population est très profond et douloureux. Il y a également des personnes déplacées en Israël, en particulier dans le nord du pays, en raison des roquettes tirées quotidiennement par le Hezbollah. Comme je l'ai dit au début, c'est la chronique de ces jours.
En résumé, la violence est incessante, et d'où qu'elle vienne, elle doit être condamnée. La violence ne fait que provoquer la violence, un cercle vicieux dont on ne voit pas la fin. Et il faut respecter la douleur de chacun, sans établir de hiérarchie.
Il n'est pas facile de sortir de cette spirale de violence. Le contexte régional reste très tendu et problématique. Comme nous le savons, des négociations sont en cours pour libérer les otages et obtenir un cessez-le-feu. Mais les perspectives d'une conclusion positive des négociations restent très faibles. Cela nous amène à penser – en espérant nous tromper – que la fin du conflit n'est pas proche et que nous devrons faire face à cette terrible situation pendant longtemps.
En tout état de cause, les perspectives de paix à court ou moyen terme ne sont pas crédibles, quelle que soit l'issue des négociations. Pour qu'il y ait une perspective de paix, il faut des conditions claires et solides: des dirigeants politiques visionnaires, capables d'unir leurs populations respectives, soutenus par les autorités religieuses et les institutions sociales, et un contexte régional favorable à ce processus. Aucune de ces conditions n'existe aujourd'hui. Cette situation difficile va donc durer encore longtemps.
Mais nous ne devons pas baisser les bras. Ne jamais baisser les bras. L'Église ne pourra pas résoudre les grands problèmes politiques du Moyen-Orient et de la Terre Sainte. Mais, comme je l'ai dit il y a un instant, elle ne renonce pas à rester en Terre Sainte, à prononcer une parole de vérité et de réconciliation et à promouvoir une action d'aide et de proximité à l'égard de tous.
4. Franchir la barrière, au-delà de tout espoir
Je suis convaincu que nous devons orienter nos pas sur cette voie. Pour que la prophétie de la paix devienne réalité, il est essentiel de nous éduquer au respect, à la rencontre, au dialogue et au pardon. Tous, juifs, musulmans et chrétiens, doivent avant tout être des témoins crédibles de l'espérance parce qu'ils sont convaincus de la bonté de Dieu à l'égard de tous les hommes. On ne peut pas vivre sans espérance. Aujourd'hui, il y a plus de peur que d'espérance. La peur s'affronte avec les armes de la foi et de la prière. C'est le temps de l'espérance. Je crois que l'antidote à la violence et au désespoir, d'où qu'ils viennent, est de créer l'espoir, d'éduquer à l'espoir et à la paix. Les écoles et les universités ont un rôle clé à jouer à cet égard: c'est là que nous devons commencer à éduquer les gens à la paix et à la non-violence, c'est-à-dire à croire, à se connaître et à s'apprécier mutuellement et, surtout, à se rencontrer, ce qui n'est malheureusement pas le cas à l'heure actuelle. C'est plutôt l'inverse qui se produit: nous nous éloignons les uns des autres. Être des prophètes de la paix, c'est porter notre attention sur le drame des deux peuples, israélien et palestinien. Nous devons apprendre à les aimer, à les considérer comme des voisins et des amis. Ce n'est qu'ainsi que les murs tomberont et que de nouveaux ponts seront construits, capables d'un «amour qui surmonte les barrières de la géographie et de l'espace» (Pape François, Fratelli Tutti, n° 1).
Nous sommes appelés, même en temps de guerre, à multiplier les gestes de fraternité, de paix, d'accueil, de pardon et de réconciliation. Je veux dire plus: nous devons tous nous engager, à commencer par moi-même et par ceux qui, comme moi, ont la responsabilité de la direction et de l'orientation sociale, politique et religieuse, à créer une «mentalité du oui» contre la «stratégie du non». Dire oui au bien, oui à la paix, oui au dialogue, oui à l'autre, ne doit pas être une simple rhétorique, mais un engagement responsable qui est prêt à créer un espace plutôt qu'à l'occuper, à trouver une place pour l'autre et non à le nier.
Il existe une manière chrétienne de vivre au Moyen-Orient. Il y a une manière chrétienne de vivre la guerre. Jésus n'est pas un guérillero, comme certains voudraient le dépeindre. Il n'est pas un zélote ou un théologien de la révolution, comme Barabbas, mais il a apporté la vraie révolution: non pas pour «diluer» le royaume de Dieu dans le monde, mais pour lui donner du sel, de la saveur, du sens, à partir des réalités divines et célestes. Jésus n'est pas venu dans le monde pour le condamner, mais pour le sauver.
En tant qu'Église, nous avons peu d'occasions de nous asseoir à des tables internationales, mais nous avons le devoir de contribuer à la vie du monde, en construisant des communautés réconciliées et accueillantes, ouvertes et prêtes à la rencontre, des espaces authentiques de fraternité partagée et de dialogue sincère.
L'Évangile nous y invite.