Attitudes envers les minorités religieuses au Québec

Le 8 novembre 2022, les membres et amis du Dialogue judéo-chrétien de Montréal (DJCM) ont discuté des attitudes envers les groupes religieux minoritaires au Québec et de l’impact d’une récente loi sur la laïcité de l’État sur les membres de ces goupes.

Lors de cette rencontre du DJCM, Miriam Taylor, conseillère spéciale de l'Institut Metropolis pour les initiatives de lutte contre le racisme, a présenté les résultats d'une enquête menée au printemps 2022 pour l'Association d'études canadiennes (AEC) sur le thème «Loi 21 - Discours, perceptions et impacts». Les résultats ont été publiés le 10 août 2022 et sont disponibles sur le site Web de l'AEC[1].

Cette enquête, une étude combinée (sondage Léger auprès de l'ensemble de la population québécoise et sondage AEC auprès des groupes religieux minoritaires pour un échantillon total de 1 829 personnes) fusionnée et pondérée par Léger, offre une fenêtre sur l'interaction entre le discours public, les perceptions populaires et les impacts vécus autour de la loi sur la laïcité (Loi 21), adoptée en 2019. Une des mesures contestées de cette loi est l’interdiction faite aux fonctionnaires québécois, y compris les enseignantes et enseignants, de porter des signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions.

Négativité des Québécois à l'égard des signes religieux non chrétiens

On estime parfois que la méfiance à l’égard des religions serait un motif important de soutien à la loi 21 chez une majorité de Québécois. Mais le sondage réfèle que cet appui repose aussi sur une perception négative des symboles religieux, principalement ceux des religions minoritaires. D’après les données de l’enquête, les Québécois perçoivent les religions et les symboles religieux selon une courbe ascendante de négativité, du christianisme au judaïsme, du sikhisme à l'islam. Cette hiérarchie est amplifiée chez les fervents partisans de la loi 21. Les écarts importants entre les partisans et les opposants sur cette question indiquent un lien de causalité entre les opinions négatives à l'égard des symboles non chrétiens et le soutien à la loi 21.

La négativité qui prévaut à l'égard des symboles religieux non chrétiens se reflète directement dans les expériences et les témoignages des membres de communautés les plus impactées par l’interdiction du port de signes religieux par les représentants de l’État. À des degrés divers, les répondants juifs, musulmans et sikhs décrivent être exposés, dans leur vie quotidienne, à des attitudes et des comportements qui ont un impact direct sur leur sentiment d'acceptation et de sécurité, leur engagement civique et leur sentiment d'épanouissement, de bien-être et d'espoir. Le déclin de l'espoir pour la prochaine génération est particulièrement frappant dans ces trois communautés.

La loi 21 et l'égalité des femmes

On invoque souvent en faveur de la loi 21 l’argument que l’interdiction faite aux représentants de l’État d’afficher un signe religieux, tel que le voile islamique, ferait avancer la cause de l’égalité homme-femme. L’enquête montre cependant cette loi n'est perçue par tous comme aussi féministe que ses défenseurs l’affirment.

Les femmes sont plus susceptibles de qualifier la loi de discriminatoire à l'égard des femmes issues de religions minoritaires. Elles sont également plus enclines à considérer la loi comme une source de division et sont moins favorables à ce qu’on sanctionne un ou une fonctionnaire qui la transgresserait. Plusieurs Québécoises ne sont donc pas convaincues des vertus de la loi en tant que promotrice de l'égalité des femmes.

L'Assemblée nationale du Québec et la Cour suprême du Canada

En adoptant la loi 21, le gouvernement du Québec a eu recours à la «clause de dérogation» («nonobstant») de la Charte canadienne des droits et libertés qui permet à un parlement (fédéral ou provincial) d’adopter une loi dérogeant à certains de ses articles tels que ceux portant sur la liberté de religion ou d’expression. Ce recours, basé sur la prétention que l'Assemblée nationale du Québec incarne à elle seule la volonté collective du Québec, soustrait la loi, en principe, à une contestation judiciaire au nom de cette Charte.

Toutefois, malgré cette prétention, une majorité des personnes sondées (64,5%) trouvent important que la Cour suprême du Canada émette un avis sur le caractère discriminatoire de la loi 21. S’il s’avérait que la loi était considérée comme discriminatoire par la Cour suprême, l’appui qu’on lui accorde pourrait diminuer de manière significative.

La loi 21 et l'harmonie sociale

On a également invoqué comme argument en faveur de la Loi 21 le fait qu’elle contribuerait à assurer la paix et l’harmonie sociale. Mais pour la plupart des membres des groupes religieux minoritaires interrogés, la vie au Québec depuis la promulgation de la loi 21 est nettement moins paisible et moins harmonieuse. Ils disent observer une détérioration du climat d'accueil au Québec en termes d'acceptabilité et d'accueil, de sécurité, de citoyenneté, d'épanouissement, de bien-être et d'espoir.

Au Québec, en 2022, les groupes religieux minoritaires voient les opinions négatives de leurs concitoyens à l'égard des symboles et des groupes religieux non chrétiens se refléter dans leurs interactions quotidiennes au travail, à l'école, lorsqu'ils reçoivent ou fournissent des services, traitent avec les autorités, dans les transports publics ou dans la rue.

Une stratégie d’affirmation nationale préjudiciable

En conclusion, selon la chercheuse, cette étude suggère que la perpétuation d'un environnement inhospitalier aux identités religieuses épousées par les Québécois est dangereuse et contre-productive pour les personnes concernées, mais aussi dommageable pour notre société dans son ensemble, car elle crée de la souffrance et limite le potentiel d’intégration de certains membres de minorités religieuses.

La loi 21 pourrait être interprétée comme une tentative de favoriser l'unité québécoise en opposant les objectif «de la nation» aux traits négatifs attribués aux groupes minoritaires. Des théoriciens de la démocratie estiment qu'une telle stratégie n'est pas seulement préjudiciable aux groupes eux-mêmes, mais qu'elle déchire également le tissu social et porte atteinte à la santé de la démocratie.

Un appel à l’action

Dans la discussion qui a suivi la présentation de Miriam Taylor, des questions ont été soulevées sur la similitude de la Loi 21 avec les lois régissant la séparation de l'État et de la religion en France. Il a été aussi question de la réception mitigée de l’enquête: parus peu avant la fin des vacances d’été, ses résultats sont passés sous le radar de certains médias, tandis que d’autres faisaient état de critiques sur sa méthodologie. On a fait observer que les jeunes sont moins favorables à la Loi 21 que les générations plus âgées, et que les Montréalais sont plus tolérants envers la diversité religieuse que le reste du Québec, peut-être en raison d'une plus grande exposition à celle-ci.

Parmi les commentaires recueillis après la rencontre, on a suggéré que la situation révélée par cette enquête devrait inciter le Dialogue judéo-chrétien de Montréal et d’autres organisations similaires à renforcer leur action pour dissiper les préjugés à l’égard des religions, particulièrement des religions minoritaires, et pour mettre en évidence la contribution des groupes religieux à la vie sociale et au bien commun.

Un débat à suivre

La loi 21 a fait l’objet d’un premier jugement en Cour supérieure du Québec en avril 2021. Ce jugement ayant été contesté, une dizaine de groupes d’opposants ou de défenseurs de la loi 21 on fait entendre leurs arguments en novembre 2022 devant la Cour d’appel du Québec, qui a pris la cause en délibéré. Si le jugement à venir était contesté lui aussi, le débat pourrait se déplacer à la Cour suprême du Canada.

Remarques de l’éditeur

Jean DUHAIME est professeur émérite d’interprétation biblique de l’Université de Montréal et rédacteur de la section francophone de Relations judéo-chrétiennes. Il est engagé dans le dialogue interreligieux depuis plusieurs années; il a été président du Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal (DJCM). Il est membre de la Communauté chrétienne St-Albert-le-Grand de Montréal.