55 ans depuis Nostra Aetate : L'avenir du dialogue interreligieux

Octobre 2020 a marqué le 55e anniversaire du célèbre document du Vatican connu sous le nom de Nostra Aetate («En notre temps»), qui a été promulgué par le Concile Vatican II en octobre 1965. Ce document a sans aucun doute contribué à changer radicalement le discours dans le domaine du dialogue judéo-chrétien en particulier, et du dialogue interreligieux en général, à l'époque contemporaine. J'en parle dans un film intitulé «I am Joseph Your Brother» (produit par le Conseil de coordination interreligieux en Israël en 2001 et disponible sur YouTube), qui a été préparé à la suite de la visite historique du pape Jean-Paul II en Israël en mars 2000.

Dans ce film, j'ai dit avec insistance «Nous sommes passés de la persécution au partenariat, de la confrontation à la coopération, de la diatribe au dialogue».

Non seulement ce document fondateur a ouvert un nouveau dialogue entre l'Église catholique – et d'autres confessions chrétiennes – et le peuple juif, mais il a également initié un dialogue entre l'Église catholique et d'autres religions, y compris et surtout l'Islam.

Il est désormais de pratique courante que les dirigeants des communautés religieuses à tous les niveaux dialoguent entre eux dans de nombreux endroits du monde et travaillent ensemble à une cause commune partout où cela est possible pour guérir le monde. C'est également le cas en Israël, où je vis et travaille depuis 41 ans. Le dialogue interreligieux fait partie du paysage ici, une partie essentielle de notre vie commune, bien qu'il n'ait pas encore atteint les masses ici (ou dans d'autres endroits).

Dans cette réflexion, j'ai décidé de me concentrer sur l'avenir, plutôt que sur le passé. On a beaucoup écrit sur les nombreux nouveaux développements positifs dans les relations judéo-chrétiennes au cours des 55 dernières années. Beaucoup de progrès ont été réalisés! Il est temps maintenant de regarder vers l'avenir et de réfléchir aux défis que nous devons relever.

Je voudrais me concentrer sur trois grandes questions liées à l'avenir:

  • Quels sont les principaux problèmes auxquels seront confrontés les juifs et les chrétiens en Israël dans les années et les décennies à venir?
  • Pourquoi le dialogue avec l'Islam est-il si important et pourtant si négligé, et que faut-il faire?
  • Comment pouvons-nous relier le dialogue à la réalité, en particulier aux questions de paix et de justice en Israël et dans d'autres parties du monde?

Les principaux problèmes

Le problème numéro un auquel nous sommes confrontés en Israël – et dans le monde entier – est toujours l'ignorance. Après toutes ces années, nous ne savons toujours pas grand-chose sur la religion de l'autre. En conséquence, nous avons toujours besoin de programmes éducatifs à multiples facettes, soutenus et systématiques dans des cadres nombreux et divers: écoles, séminaires, instituts de formation des enseignants et universités, et dans les programmes des écoles juives, chrétiennes et musulmanes, dans le monde entier et en Israël.

Au cours des 55 dernières années, les chrétiens ont fait beaucoup plus pour éduquer leurs coreligionnaires sur les juifs et le judaïsme que nous, les juifs, n'avons fait pour les nôtres sur les chrétiens et le christianisme. Cela est sans aucun doute dû à la nature asymétrique de l'histoire judéo-chrétienne et au fait que le judaïsme fait plus partie intégrante du christianisme que l'inverse.

À l'époque où nous vivons, il devrait être impossible pour les juifs de continuer à enseigner sur les catholiques – ou les chrétiens en général – comme si Nostra Aetate et Vatican II n'avaient jamais eu lieu, tout comme il serait inconcevable pour les catholiques et les autres chrétiens d'enseigner sur les juifs comme si l'État d'Israël n'avait pas été créé en 1948. Nous, les juifs, devrons faire beaucoup plus à l'avenir pour éduquer nos communautés sur les changements révolutionnaires de la pensée chrétienne concernant les juifs et le judaïsme au cours des dernières décennies. Cela est vrai partout où vivent les Juifs, y compris au sein de la société israélienne où un sentiment historique anti-chrétien prévaut encore largement.

En outre, pendant trop longtemps, le dialogue judéo-chrétien a surtout porté sur les relations entre communautés, et il n'est donc pas surprenant qu'on en parle en termes de «relations intergroupes». Il faut que cela change. Nous devons apprendre les uns des autres et développer un véritable dialogue interreligieux – un dialogue basé sur la mutualité et la réciprocité. Cela se passe de plus en plus en milieu universitaire. De nombreux collèges, universités et séminaires dans le monde entier disposent désormais d'instituts spécialisés qui s'y consacrent.

Le dialogue avec l’Islam

Pourquoi le dialogue avec l'Islam est-il si important et pourtant si négligé, et que faut-il faire? En Israël, nous vivons en tant que majorité juive, avec une forte minorité arabe de 21 % des citoyens, dont la plupart sont musulmans. Mais notre dialogue n'a pas suffisamment impliqué les musulmans. Pourquoi?

  • Parce que nous avons tous peur. Une partie de notre peur est rationnelle. Mais une grande partie est basée sur la phobie, une peur irrationnelle, alimentée par des rumeurs et des stéréotypes sur toute une communauté, toute une religion et tous ses adeptes.
  • Parce que nous avons été largement influencés par les médias – qui ne rapportent que les agissements des  fondamentalistes extrémistes radicaux musulmans – ceux de l’État islamique d’Irak et de Syrie (ISIS), d’Al-Qaïda, etc.
  • Parce que nous ne faisons pas vraiment l'effort d'apprendre à connaître l'Islam. Nous n'étudions pas les textes sacrés des musulmans et leurs enseignements sacrés. Nous nous fions plutôt sur Internet et sur les tabloïds pour nous «enseigner» ce qu'est réellement l'islam.

Encourager la haine de la religion d'autrui – en raison des actes fanatiques de certains groupes extrémistes qui prétendent être inspirés par cette religion mais la déforment en réalité pour la rendre méconnaissable – n'est pas la bonne recette pour construire une société de coexistence pacifique.

En conséquence, je dirais que le développement d'un véritable dialogue avec les musulmans en Israël – et dans le monde entier, à commencer par nos propres communautés locales – est l'un des plus grands impératifs religieux et éthiques pour les juifs et les chrétiens, aujourd'hui et à l'avenir. Nous ne pouvons pas continuer à faire l'autruche et à ignorer ce sujet. Il est vital pour notre avenir commun.

Je me suis engagé dans cette voie pendant une grande partie des 30 dernières années et, ce faisant, j'ai appris à connaître un autre type d'islam, pas celui qui fait l'objet de l'actualité quotidienne et qui est constamment présent sur Internet. J'ai rencontré de nombreux kadis, imams, cheikhs et musulmans ordinaires – tant en Israël qu'à l'étranger – qui prêchent et enseignent un islam modéré, dont les médias ne parlent pas, un islam qui épouse des idéaux éthiques et justes, qui sont très proches des valeurs humanistes fondamentales que partagent le judaïsme et le christianisme.

Relier notre dialogue à la réalité

Enfin, comment pouvons-nous relier notre dialogue à la réalité, en particulier aux questions cruciales de la construction de la paix entre Israël et le peuple palestinien?

Il faudra ce que j'aime appeler «l'autre processus de paix» – celui qui est éducatif, religieux et spirituel, pour compléter le processus politique.

Le dialogue interreligieux restera marginal et dépassé si nous ne nous attaquons pas aux questions cruciales de la paix et de la justice dans le monde. Tout comme il ne devrait plus se limiter aux seuls chrétiens et juifs, il ne devrait plus être éphémère et abstrait, axé sur le passé plutôt que sur l'avenir. Il doit être lié aux efforts de construction de la paix – et aux efforts visant à assurer la justice sociale – partout dans le monde, y compris en Israël, maintenant et dans les années à venir.

À l'avenir, le dialogue interreligieux sera plus que jamais nécessaire. Il y aura un besoin existentiel d'une campagne religieuse, spirituelle, éducative et psychologique massive pour changer le cœur et l'esprit des gens des deux côtés de nombreux conflits – y compris et surtout le conflit israélo-palestinien. Nous n'aurons pas d'autre choix que de rassembler les gens en grand nombre pour qu'ils s'engagent dans le dialogue, l'éducation et l'action afin d'apprendre à vivre en paix. Cela devrait inclure les rabbins, les imams, les prêtres et les ministres en tant que leaders communautaires, les enseignants, les éducateurs, les directeurs d'école et leurs adjoints, les rédacteurs de programmes scolaires, les leaders des mouvements de jeunesse, les personnes ressources qui oeuvrent dans divers cadres tels que les centres communautaires, les camps et autres lieux de réunion. Des hommes et des femmes de toutes les parties des sociétés palestinienne et juive – des professionnels aussi bien que des gens ordinaires, des éducateurs et des activistes, des leaders et des membres de toutes sortes de groupes.

Dans ma région du monde, il y a beaucoup de désespoir. De nombreuses personnes des deux côtés de nombreux conflits ont complètement abandonné. Ils ont le sentiment que la paix ne viendra jamais, que c'est une illusion, qu'elle n'est pas à notre portée.

Pourtant, il y a encore des gens – juifs, musulmans et chrétiens – qui sont actuellement engagés dans le dialogue interreligieux, l'éducation et l'action au Moyen-Orient – et dans d'autres parties du monde – et qui continuent à faire leur part en aidant à réaliser des miracles! Ils auront un rôle majeur à jouer dans ce processus de paix entre les peuples pendant longtemps encore. À long terme, en amenant des personnes d'origines religieuses et culturelles différentes à collaborer pour affronter les défis et les crises du présent et de l'avenir, le dialogue interreligieux deviendra une partie de la solution, plutôt qu'une partie du problème.

Remarques de l’éditeur

Le Rabbin Ron Kronish est un conférencier, un éducateur et un militant pour la paix interreligieuse. Son dernier livre s'intitule “The Other Peace Process” : Interreligious Dialogue, a View from Jerusalem (Hamilton Books, 2017). Retraité, il travaille actuellement à un nouveau livre sur les artisans de la paix entre Israéliens et Palestiniens. (https://ronkronish.com)

Source:  The Jerusalem Report  5 Novembre 2020

Traduit par Jean Duhaime pour Relations judéo-chrétiennes.