40 ans après Nostra Aetate : un colloque à Montréal sur les réalisations et défis des relations entre chrétiens et Juifs

Promulguée le 28 octobre 1965, lors de la dernière session du Concile Vatican II, la déclaration Nostra Aetate sur l’Église et les religions non chrétiennes a marqué un tournant décisif dans les relations entre chrétiens et Juifs.

40 ans après Nostra Aetate : un colloque à Montréal sur les réalisations et défis des relations entre chrétiens et Juifs

Montréal, le 27 octobre 2005. – Promulguée le 28 octobre 1965, lors de la dernière session du Concile Vatican II, la déclaration Nostra Aetate sur l’Église et les religions non chrétiennes a marqué un tournant décisif dans les relations entre chrétiens et Juifs. Pour souligner le 40e anniversaire de cette déclaration, le Dialogue judéo-chrétien de Montréal tiendra le 2 novembre, une journée d’étude et de partage sur le thème « 40 ans après Nostra Aetate : réalisations et défis des relations entre chrétiens et Juifs ». Voici le résumé des trois conférences présentées à cette occasion.

Nostra Aetate et la transformation des relations entre chrétiens et Juifs

Dr Gérald Caron

G. Caron est l’auteur de L’antisémitisme Chrétien. Une question pour les Églises (Montréal, Médiaspaul, 2002). Il est professeur retraités d’études bibliques à l’Atlantic School of Theology d’Halifax (Canada).

Quarante ans après sa parution, on continue de voir dans la déclaration Nostra Aetate de Vatican II un point tournant historique dans les relations entre chrétiens et juifs. Elle a donné naissance à un mouvement de réflexion désormais irréversible au sein de la plupart des Églises chrétiennes – qui s’efforcent depuis une génération à remplacer ce que Jules Isaac a nommé « l’enseignement du mépris » à l’endroit du judaïsme et du peuple juif par un enseignement de l’estime et du respect.

Une première partie résume brièvement les grandes lignes de pensée de Nostra Aetate, puis examine les principales réalisations qui ont suivi la parution de cette déclaration mémorable. Sans oublier le travail immense accompli au cours de cette période aussi bien par les Églises issues de la réforme et le Conseil mondial des Églises que par plusieurs Églises locales et nationales en milieu catholique, nous porterons une attention particulière à quatre documents importants, venant de Rome, qui se sont échelonnés à intervalles réguliers d’une dizaine d’années pendant la deuxième moitié du siècle dernier. Trois de ces documents, les Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire « Nostra Aetate » (1975), les Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique (1985), et Nous nous souvenons. Une réflexion sur la Shoah (1998), ont été préparés par la Commission pour les Relations religieuses avec le judaïsme, créée par Paul VI en octobre 1974. Le quatrième document, publié en 2002 par la Commission biblique pontificale, s’intitulait Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la bible chrétienne et faisait le point sur bon nombre de questions touchant les relations entre l’Église catholique et le peuple juif.

Parmi d’autres réalisations importantes de ces quarante dernières années, il y lieu de signaler, d’une part la contribution exceptionnelle du pape Jean Paul II, qui n’a cessé depuis son accession à la papauté jusqu’aux dernières années de sa vie de multiplier interventions, discours et gestes spectaculaires sur la question juive, et d’autre part, l’expansion extraordinaire des relations entre les communautés chrétiennes et juives – encore inimaginable il y a encore moins de cinquante ans. La publication récente du document juif, Dabru Emet (2002), une première réflexion juive sur le christianisme, est garant d’un avenir prometteur.

La deuxième partie de cette conférence considère trois défis, parmi d’autres, que l’Église – si elle désire vraiment éliminer toute trace d’anti-judaisme ou d’antisémitisme de son discours – se doit de relever dans les prochaines années. Elle doit d’abord se débarrasser du “supersessionisme” ou de la théologie du remplacement, non seulement dans ses textes, mais aussi et surtout dans sa théologie, y compris sa christologie. Étroitement lié à cette question est le débat toujours en cours sur l’alliance, qui respecte la nouvelle doctrine sur la permanence d’Israël dans le plan divin. Enfin, même si déjà abandonnée par le Conseil mondial des Églises et plusieurs Églises membres, la question du prosélytisme ou mission chrétienne envers les juifs reste à l’ordre du jour au sein de l’Église catholique romaine et de certaines Églises évangéliques.

La volte face suscitée par Nostra Aetate au sein de la plupart des Églises chrétiennes et de la communauté juive, a déjà porté ses fruits, beaucoup de fruits. Il reste encore beaucoup à faire, mais les réalisations déjà accomplies sont de bonne augure pour les prochaines années.

« Les Juifs » et l’anti-judaïsme : Lire l’Évangile de Jean après Nostra Aetate

Dr Adele Reinhartz

A. Reinhartz est l’auteure de Befriending the Beloved Disciple: A Jewish Reading of the Gospel of John (New York: Continuum, 2001). Elle a co-édité avec P. Fredriksen Jesus, Judaism and Anti-Judaism: Reading the New Testament After the Holocaust (Louisville, KY: Westminster John Knox Press, 2002). Elle est vice-rectrice à la recherche et professeure en sciences religieuses à l’Université d’Ottawa (Canada).

L’Évangile de Jean utilise l’expression hoi ioudaioi – « les Juifs » de manières très diverses : cela va d’un sens positif, comme dans le passage de Jn 4,22 où Jésus déclare que « le salut vient des Juifs », à un sens très négatif, comme en Jn 8,44, où Jésus dit à quelques-uns de ses auditeurs : « Votre père, c’est le diable ».

Historiquement, les passages négatifs de l’Évangile de Jean ont contribué à l’anti-judaïsme chrétien, y compris à l’imagerie qui a associé les Juifs avec Satan. Dans la foulée de Nostra Aetate et d’autres documents aussi profonds, plusieurs chefs de file du christianisme, y compris des chercheurs et des pasteurs, se sont demandés comment aborder et enseigner ces passages de l’Évangile de Jean et d’autres semblables ailleurs dans le Nouveau Testament de manière à éviter, et même à déconstruire leur interprétation anti-juives traditionnelles. Cette communication explore ce problème à partir du point de vue d’une lectrice de l’Évangile de Jean, à la lumière des recommandations particulières de Nostra Aetate.

Le Pape Benoit XVI et les relations entre catholiques et Juifs : changement ou continuité?

Rév. John Pawlikowski

J. Pawlikowski est le co-auteur ou le co-éditeur des ouvrages suivants: Ethics in the shadow of the Holocaust : Christian and Jewish perspectives (Franklin, Wis.: Sheed & Ward, 2001); Reinterpreting Revelation and tradition : Jews and Christians in conversation (Franklin, Wis.: Sheed & Ward, 2000); Two faiths, one covenant? : Jewish and Christian identity in the presence of the other (Lanham: Rowman & Littlefield Publishers, 2005). Il est professeur à la Chicago Theological Union et président de l’Amitié internationale judéo-chrétienne.

Aussi bien en tant que Cardinal Ratzinger que comme Pape, Benoît XVI s’est penché sur la question des relations entre les catholiques et les Juifs. Comme préfet de la Congrégation pour la doctrine, le Cardinal Ratzinger a écrit sur les aspects théologiques de la relation de l’Église au peuple juif. Dans un important article de journal, de même que dans une section de l’un de ses livres récents, il a parlé de la validité continue de l’alliance juive et a même ouvert la porte à une perspective qui verrait les Juifs comme engagés sur un chemin de salut particulier, bien qu’il n’ait jamais indiqué clairement, dans ses écrits, comment ce chemin particulier se rapporte ultimement au salut en Jésus Christ.

Comme préfet de la Congrégation du Vatican pour la doctrine, il a écrit l’introduction et a sanctionné la publication d’un document de plus de deux cents pages publié par la Commission Biblique Pontificale sur Les Juifs et leurs Saintes Écritures dans la Bible chrétienne; ce document parle aussi du chemin particulier aux Juifs vers le salut, qui implique une interprétation différente, mais authentique, des Écritures hébraïques. Ce document suppose aussi que le messie juif, lors qu’il apparaîtra, ne sera pas simplement Jésus Christ tel que les chrétiens le comprennent, même s’il aura les traits essentiels du messie chrétien.

En tant que Pape, Benoît XVI s’est adressé aux autorités religieuses juives à deux reprises. En juin, il a rencontré une délégation représentant le Comité juif international sur les consultations interreligieuses. En août, à l’occasion de la Journée mondiale de la jeunesse, il a pris la parole à la synagogue de Cologne. Dans ses deux allocutions, il a exprimé clairement sa ferme détermination à combattre toutes les formes de l’antisémitisme contemporain. Il s’est aussi engagé à continuer l’implantation de Nostra Aetate. Ses remarques sur l’Holocauste ont soulevé quelques questions, car il a semblé le considérer seulement sous ses aspects néo-païens, sans relation véritable avec l’antisémitisme chrétien classique. A Cologne, il a semblé donner son aval à la poursuite du dialogue théologique entre les catholiques et les Juifs. Il reste à savoir s’il prendra lui-même l’initiative de pousser plus loin une théologie catholique judaïsme et du peuple juif.